GAGNER
LA GUERRE
Au
bout de dix heures de combat, quand j’ai vu la flotte du Chah flamber d’un bout
à l’autre de l’horizon, je me suis dit : « Benvenuto, mon fagot, t’as
encore tiré tes os d’un rude merdier. » Sous le commandement de mon
patron, le podestat Leonide Ducatore, les galères de la République de Ciudalia
venaient d’écraser les escadres du Sublime Souverain de Ressine. La victoire
était arrachée, et je croyais que le gros de la tourmente était passé. Je me
gourais sévère. Gagner une guerre, c’est bien joli, mais quand il faut partager
le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles
pourris d’orgueil et d’ambition, le coup de grâce infligé à l’ennemi n’est
qu’un amuse-gueule. C’est la curée qui commence. On en vient à regretter les
bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l’art
militaire. Désormais, pour rafler le pactole, c’est au sein de la famille qu’on
sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c’est plutôt
mon rayon…
Gagner la Guerre
Auteur
: Jean-Philippe Jaworski
Type
d'ouvrage : Heroic-Fantasy
Première
Parution : 05 mars 2009
Edition
Poche : 05 mars 2015
Titre
en vo : Gagner la Guerre
Pays
d’origine : France
Langue
d’origine : français
Traduction : néant
Editeur : Folio
SF
Nombre
de pages : 992
Mon
avis : « Je n’ai jamais aimé la mer.
Croyez-moi, les paltoquets qui se gargarisent sur la beauté des flots, ils
n’ont jamais posé le pied sur une galère. La mer, ça secoue comme une rosse mal
débourrée, ça crache et ça gifle comme une catin acariâtre, ça se soulève et ça
retombe comme un tombereau sur une ornière ; et c’est plus gras, c’est plus
trouble et plus limoneux que le pot d’aisance de feu ma grand-maman. Beauté des
horizons changeants et souffle du grand large ? Foutaises ! La mer, c’est votre
cuite la plus calamiteuse, en pire et sans l’ivresse. Je n’ai jamais aimé la
mer, et ce n’était pas près de s’arranger. » Voilà comment le lecteur
découvre le héros – enfin, héros est un terme qui ne correspond pas vraiment,
disons plutôt, personnage principal – de ce Gagner la Guerre, un
certain Benvenuto Gesufal, ancien soldat de la république Ciudalienne, maitre
assassin mais aussi et surtout, homme de main du Podestat Leonide Ducatore, un
dirigeant qui aurait sans nul doute fortement plu a un certain Machiavel. Cette
entrée en matière de ce petit pavé de près de mille pages, dans son édition
poche, en dit long sur la personnalité de notre… euh… héros, mais aussi sur le
style de l’auteur, Jean-Philippe Jaworski. Mais, au fait, ce nom, comme celui
de Gesufal, Ducatore, Ciudalia, cela ne vous dit rien ? Mais alors, c’est
que vous n’avez pas lu un certain Janua Vera,
un recueil de nouvelles du même auteur et dont je vous ai parlé il y a de cela
quelques semaines, a la fin du mois dernier. Pour ceux qui n’auraient pas lu
cette critique, disons que, de par son style, sa forme, son écriture, ses
personnages et ses magnifiques récits, je n’avais pas été avare de louanges à
son égard et que, décidément, Jean-Philippe Jaworski était un auteur à suivre !
Mais pour confirmer ou pas la chose, je me devais, bien évidemment, de
découvrir et lire la suite des aventures de cet inimitable, souvent attachant
mais aussi détestable Don Benvenuto Gesufal, avec ce Gagner la Guerre,
qui, pour la petite histoire, était le premier roman du sieur Jaworski, un
auteur français qui avait fait ses classes dans l’univers des jeux de rôles et
qui, ma foi, pour ce que j’ai lu de lui jusqu’à maintenant, a décidément tout
l’avenir devant lui ! Car il est inutile de tourner autour du pot plus
longtemps : oui, Gagner la Guerre
est un sacré bon roman, que dis-je, j’ose aller plus loin encore, nous ne
sommes pas loin, mais alors, pas loin du tout, de nous trouver devant ce qu’il
faut bel et bien appeler un chef d’œuvre ; oh et puis zut, mais comment ne
pouvait-il pas en être autrement ? Prenez Janua Vera, ou
plutôt, tout ce qui vous avais plu dans celui-ci, et plus précisément, dans la
nouvelle consacrée aux pérégrinations du sieur Gesufal (et qui sert de
d’introduction au roman qui nous préoccupe aujourd’hui) et dites-vous que c’est
parti pour presque mille pages d’un récit d’une jouissance sans commune
mesure : crédibilité de l’univers proposé, personnages cohérents et que
l’on pourrait presque croire réels, subtilités du jeu politique, descriptions
précises en diverses occasions et qui nous prouvent que l’auteur sait de quoi
il parle (l’un des exemples les plus frappants étant le passage à tabac de
Benvenuto, un modèle du genre) que ce soient les douleurs ressentis suite à une
blessure, les aléas d’un voyage etc. Mais aussi, car ce n’est pas tout, comment
ne pas s’extasier devant le langage utilisé, assez recherché, l’intrigue,
rondement menée et pleine de surprises ainsi que sur la profondeur de
l’ensemble : comme dans Janua Vera, nous n’avons pas affaire
ici a de la sous Fantasy post Tolkien mais a une œuvre adulte, qui sort des
sentiers battus et qui, surtout, est a des années lumières de la production
auquel on est habituées… production qui, fut un temps, m’avait un peu dégoutée
du genre d’ailleurs. Car, comme un certain Georges Martin avec son Trône de
Fer, Jean-Philippe Jaworski réussit la gageure de nous offrir une œuvre
marquante, qui se démarque de la concurrence de par ses différences, mais
surtout, de par ses qualités ; Fantasy ais-je dis, oui, il y a des elfes,
des nains et de la magie, mais pas comme vous l’entendez… d’une façon plus
adulte ? Oui, c’est cela même ! Au jour d’aujourd’hui, et alors que
j’ai achevé la lecture de ce Gagner la Guerre il y a quelques
heures à peine, je suis incapable de vous dire si, en décembre prochain, je le
choisirai comme étant le livre de l’année 2019, mais quelque part, cela
importe peu. Cependant, ce dont je peux être sur, c’est qu’avec Gagner la Guerre et Janua Vera, j’ai découvert un univers et des protagonistes que je
ne suis pas prêt d’oublier de sitôt. Alors certes, l’intrigue de Gagner
la Guerre est pour le moins spéciale et, quand on y pense bien, la
quasi-totalité des protagonistes sont de sacrés salauds ! Mais
franchement, quel plaisir de suivre les mésaventures de Benvenuto – car le
pauvre, il va en prendre plein la gueule – un antihéros par excellence qu’on
n’arrive pas tout à fait à détester, et puis, le Podestat, ah, Leonide
Ducatore ! Le Prince de Machiavel, mais c’est lui !
Incontestablement lui ! L’homme politique par excellence, avec tout ce que
cela sous-entend : retors, calculateur, implacable, menteur et sans pitié,
indéniablement, avec le Podestat, il me semble évidant que nous avons là l’un
des personnages romanesques les plus marquants de ces dernières années. Et,
pour en finir, car il faut bien passer à autre chose, je n’ai désormais qu’un
seul et unique souhait : que Jaworski n’en reste pas là et nous offre, a
l’avenir, d’autres récits se déroulant dans le même univers, car sincèrement,
quand on a gouté au vieux royaume, on n’a envie que d’une seule chose, y
replonger… et, justement, cela tombe bien puisqu’il y a un certain Sentiment du Fer…
Points
Positifs :
-
Un des meilleurs romans qu’il m’ai été donné de lire de ces dernières années,
un truc énorme, aboutit de bout en bout, ce, tout en restant totalement
inclassable : de la Fantasy adulte ? Oui, sans nul doute, mais pas n’importe
laquelle et force est de constater que Jean-Philippe Jaworski nous a livrer,
avec Gagner la Guerre, un véritable
chef d’œuvre !
-
Benvenuto Gesufal, antihéros par excellence mais qui n’en reste pas moins
tellement attachant, même si c’est un sacré salaud, il faut le reconnaitre ;
mais bon, il en prend tellement dans la gueule le pauvre qu’il est difficile de
ne pas éprouver de l’empathie pour lui…
-
Une intrigue complexe, d’une richesse peu commune et qui nous surprendra à de
multiples reprises. Bref, on ne s’ennui pas une seule seconde, ce, malgré les
presque mille pages de ce roman !
-
Si Benvenuto est le héros de ce Gagner la
Guerre, comment ne pas mettre en avant d’autres figures marquantes comme le
Sapientissime Sassanos et, surtout, le Podestat Léonide Ducatore – Le Prince de Machiavel, c’est lui – mais
si ces deux là occupent une place de choix, force est de constater que les
seconds voir les troisièmes rôles, très nombreux, sont loin d’être de simples
figurants, loin de là !
-
Le plaisir de retrouver tout un tas de protagonistes apparus dans les diverses
nouvelles de Janua Vera.
-
Le talent d’écriture, indéniable, de Jean-Philippe Jaworski.
Points
Négatifs :
-
Indéniablement, Gagner la Guerre est
un roman complexe de par son style d’écriture, son coté presque élitiste qui
fait que, le grand public amateur d’une certaine Fantasy plus conventionnelle –
pour ne pas dire plus simpliste – risque de ne pas accrocher ou de s’y perdre
totalement. Dommage, certes, mais c’est ainsi.
Ma
note : 9/10
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