dimanche 27 mai 2012

Les Cahiers de Science & Vie n°129 : Astronomie : Quand l'homme invente l'Univers



Nul ne doute que, depuis que je vous propose sur ce blog, ce que l’on peut appeler des « critiques » des revues que je lis, l’une de celles qui revient le plus souvent, et sur laquelle j’use des termes les plus élogieux, est sans discussion possible Les Cahiers de Science & Vie. Ainsi, ce bimestriel, qui lors de chaque numéro, nous propose un sujet à chaque fois différent (ce qui n’est pas le cas, par exemple, de la Nouvelle Revue de l’Histoire), brille indéniablement par la qualité de ses articles, son ton, particulièrement abordable pour le profane, ainsi que par la mine de connaissances à disposition du lecteur : au moins, avec Les Cahiers de Science & Vie, nous n’avons jamais le sentiment de gâcher notre argent, ce qui n’est pas toujours le cas par ailleurs. Et donc, aujourd’hui, c’est du dernier numéro en date de la série que je vais vous entretenir : le cent vingt neuvième.

Les Cahiers de Science & Vie n°129 : Astronomie : Quand l'homme invente l'Univers
Mai 2012

Astronomie : Quand l'homme invente l'Univers
- Edito : Les Cahiers font peau neuve
- Cadrage : Raconter le ciel
- Variations sur l'origine du monde
- Quand l'homme a peuplé le firmament
- Variations sur la fin du monde
- Interview : « La voûte céleste était hier l'affaire des puissants comme des plus humbles » de Yaël Nazé
- Découvrir le ciel
- Sous le ciel étoilé de Cro-Magnon
- Un ciel de fer et de bronze
- Avant l'âge du bronze
- Le ciel, miroir de l'Empire chinois
- L'harmonie amérindienne du monde
- Mettre en ordre le ciel
- Mésopotamie : Ils ont quadrillé le ciel
- Egypte : Ils ont mis l'astronomie au service du temps
- Grèce : Un monde de sphères
- Mayas : L'Univers dans la roue du temps
- Inde : Modernité mathématique et tradition védique
- Arabes, Persans... : Une nouvelle géométrie de l'Univers
- Europe : La Terre fait sa révolution
- Utiliser et transmettre le ciel
- Cabinet de curiosités
- Et les marins ont regardé les étoiles
- Astronomie-astrologie : un ciel pour deux
- Interview : « L'immensité du ciel est la condition fondamentale de notre existence » d’Hubert Reeves

Avant d’aborder le vif du sujet, ce cent vingt neuvième numéro, comme l’indique la couverture et comme nous l’explique son édito apporte bien des modifications à cette revue ; en effet, les changements sont de mises pour ce numéro de mai des Cahiers de Science & Vie : avec une revue plus grande, qui possède plus de pages et d’illustrations, nul ne doute que ces quelques changements plairont aux fidèles de la revue. Mais le meilleur est pour la fin, comme souvent : en effet, plutôt que de paraitre tous les deux mois, comme auparavant, désormais, les Cahiers tout beaux tous neufs sortirons toutes les six semaines, ce qui, sur une année, nous donnera huit numéros au lieu de six. Personnellement, je ne peux que me réjouir d’une telle décision éditoriale. Cependant, pour ce qui est de l’augmentation de la taille de la revue, cela me gêne un peu puisque désormais, les nouveaux numéros dénoteront avec les anciens dans ma bibliothèque, mais bon, quelque part, rien de dramatique en soi non plus.

Mais il est temps, après tout, de nous intéresser au contenu de ce numéro de mai des Cahiers de Science & Vie ; c’est le principal, non ? Eh bien, quelque part, je trouve que celui-ci est parfaitement représentatif de ce que je pense de cette revue : en effet, en partant d’un sujet peu commun : l’observation du ciel par l’homme au fil de sa longue histoire, et qui, je dois le reconnaitre, m’intéresse mais n’est pas non plus mon sujet de prédilection, je me suis surpris, au fil des pages, et par le biais d’articles à la fois bien écrits et captivants, à me passionner par le sujet, ce qui n’était pas forcément gagner au départ. Bien entendu, la première partie du dossier, consacrée aux visions du ciel par les hommes préhistoriques et les premières civilisations m’aura davantage captivé que la suite, bien mieux connue, mais même ainsi, dans l’ensemble, je ne me suis jamais ennuyer tout au long d’une lecture qui aura eu le mérite de m’apprendre bien des choses sur le sujet, finalement, pas aussi connu qu’on pourrait le penser de prime abord : non, l’exploration et la compréhension de l’espace n’est pas récente dans l’histoire humaine, et oui, tant les anciens que d’autres civilisations non européenne ont fait énormément pour nos connaissances actuelles. Bref, pas forcément le meilleur que j’ai lu, sujet du dossier oblige, mais sans nul doute, un bon numéro des Cahiers de Science & Vie qui mérite amplement qu’on s’y attarde. 

mardi 15 mai 2012

LE BAL DES VAMPIRES



LE BAL DES VAMPIRES

Le professeur Abronsius, un savant de l'université de Koenigsberg, spécialiste en vampires et en vampirisme, parcourt l'Europe centrale à la recherche de ces créatures, en compagnie de son jeune assistant, Alfred. Leur quête les conduit au fin fond de la Transylvanie subcarpathique. Les deux hommes font halte dans un village, à l'auberge juive de Shagal, où ils emménagent dans une chambre du second étage, communiquant avec une salle d'eau. Abronsius croit qu'il y a des vampires dans le coin ; les gousses d'ail installées un peu partout dans l'auberge semblent le prouver. Quant à Alfred, il est plus intéressé par Sarah, la fille de l'aubergiste, qui adore prendre des bains dans la pièce adjacente. Le lendemain, Sarah est enlevée dans sa baignoire par le comte von Krolock. Alfred en est témoin car il regardait par le trou de la serrure. Shagal part aussitôt au secours de sa fille. Les paysans le retrouvent un peu plus tard, mort et avec des traces de morsures.


Il y a quelques semaines à peine, le 29 février dernier pour être précis (j’ai pourtant l’impression que c’était il y a une éternité), je publiais sur ce blog la critique de Rosemary’s Baby, véritable petit bijou du célèbre réalisateur, Roman Polanski, personnalité à la fois géniale et critiquable dont j’ai quelques fois eu l’occasion de vous parler au cours de ces dernières années. Lors de cette critique, je signalais le fait que, jusqu’alors, je n’avais jamais eu l’occasion de vous parler d’une œuvre du réalisateur d’origine polonaise, ce qui, au vu de sa filmographie, était presque une aberration ; et c’est donc, presque coup sur coup que je répare cet état de fait, ce qui, au vu du talent, que je ne conteste pas, du monsieur, est assez mérité. Et donc, aujourd’hui, c’est vers une autre œuvre ancienne de Roman Polanski que je me tourne avec ce qui est, à mes yeux, l’un de ses films que je préfère : Le bal des vampires.

Le hasard aura fait que, après avoir abordé le cas Dracula hier, un autre film ayant pour protagonistes principaux des vampires soit de nouveau à l’honneur ; rien de prémédité dans cela, simplement ce que j’appellerais les joies du hasard qui, comme chacun le sait, fait souvent bien les choses. Quoi qu’il en soit, si vous n’avez jamais entendu parler du Bal des vampires, sachez que celui-ci n’a pas grand-chose à voir avec une œuvre comme Dracula, bien entendu, voir même avec la plupart des films vampiriques ; enfin, pas directement. Car avant toute chose, Le bal des vampires est une parodie du genre, un film qui utilise à merveille tous les poncifs du genre – et là, l’amateur de films d’horreurs gothiques sera en terrain connu – et qui les réutilise de façon à faire rire le spectateur. Ici, et sans tomber dans le grand guignolesque comme ce put l’être le cas dans bon nombre de parodies, Roman Polanski use et abuse de tout l’attirail qui a fait la renommée du genre : sombre château perdu dans la montagne, village proche avec ses habitants peu loquaces, serviteur bossu (qui aurait pu se prénommer Igor), maitre du château qui est forcément Comte et en tenue d’apparat (costume noir, cape rouge), victimes forcément plantureuses, comme adversaire du Vampire, un spécialiste de la chose, sans oublier, forcément, tout le matériel anti-vampires comme l’ail, les pieux, le maillet et les crucifix. Sauf que, si la forme est respectée, parodie oblige, l’on s’aperçoit rapidement que tout cela est détourné : entre un vampire juif, un autre sourd voir le fils du Comte, homosexuel notoire, le ton est donné ; ensuite, comment ne pas franchement rigoler en voyant les deux adversaires du comte von Krolock : le professeur Abronsius tient plus d’un Tournesol en pilotage automatique qu’autre chose quand a son serviteur, Alfred – joué par Polanski en personne, non crédité au générique – peureux, obsédé et maladroit, on le voit mal tenir deux minutes faces aux hordes vampiriques qu’il s’apprête à affronter. Et quand on voit le reste du casting comme l’aubergiste, sa femme et leur fille – joué ici par Sharon Tate – qui ne pense qu’à prendre des bains, force est de constater que ce Bal des vampires ne peut qu’être qu’un grand moment de folie.


Et sur ce point, Roman Polanski réussi parfaitement son coup puisque le problème des parodies, c’est que la plus part du temps, celles-ci sont tellement surjouées, tombent tellement dans le grand guignolesque qu’au final, ces œuvres se limitent à des successions de gags qui peuvent certes faire mouche, mais qui ne donnent pas forcément de bons films. Or ici, si le coté humoristique est fortement présent, pour ne pas dire omniprésent, on ne peut que constater que ce Bal des vampires est une petite réussite puisque, si Polanski à souhaiter créer une parodie des films de vampires, il a su respecter le genre de la meilleure des façons et rendre un magnifique hommage aux récits d’épouvantes vampiriques. Mais plus qu’une simple parodie, le réalisateur a tenu à apporter quelques petites modifications en rendant ses protagonistes plus humains, en modifiant l’image des vampires, créatures de la nuit solitaires qui possèdent ici une vie sociale – le fameux « bal » - mais aussi, avec un refus iconoclaste du happy-end pro-humain – à la fin, le genre vampirique va pouvoir quitter son ilot isolé et se propager dans le monde. Brrr, on tremblerait presque si tout cela n’était pas aussi drôle.


Paru en 1967, Le Bal des vampires, aux yeux des plus jeunes, est peut-être une œuvre qui accuse son âge ; personnellement, je trouve que celle-ci a particulièrement bien vieilli, en comparaison avec d’autres films datant de la même époque mais je comprendrais que pour d’autres, cela ne soit pas le cas. Œuvre assez amusante en soit, celle-ci distille un humour qui n’est pas trop lourd, ce qui est une gageure ; certes, certaines scènes cocasses sont parfois limite mais dans l’ensemble, Polanski a su parfaitement maitriser son sujet, empêchant son film de tomber dans le grand guignolesque. Servit qui plus est par un casting parfait comme Ferdy Mayne dans le rôle du comte Von Krolock, Jack MacGowran en professeur Abronsius complétement déjanté, Sharon Tate, sexy en diable dans son bain et même Polanski lui-même, tout simplement parfait dans un rôle de benêt qui lui va comme un gant, force est de constater que ce Bal des Vampires est une belle réussite qui, après moult rediffusions, me procure toujours autant de plaisir. 

lundi 14 mai 2012

DRACULA



DRACULA

Transylvanie, 1462. Le comte Vlad Dracula, chevalier roumain, part en guerre contre les Turcs en laissant derrière lui sa femme Elizabeta. Cette dernière met fin à ses jours lorsqu'elle apprend la fausse nouvelle de la mort de son bien-aimé. Fou de douleur, Vlad Dracul renie l'Église et déclare vouloir venger la mort de sa princesse damnée à l'aide des pouvoirs obscurs, devenant ainsi un vampire sous le nom de Dracula. Quatre siècles plus tard, en 1897, Jonathan Harker, un jeune clerc de notaire est envoyé en Transylvanie afin de conclure la vente de l'Abbaye de Carfax à un mystérieux comte qui n'est autre que Dracula. Au moment de la signature finale de la vente, Dracula découvre que Mina, la fiancée de Harker est semblable en tous points à sa défunte épouse Elisabeta. Dracula décide d'aller la retrouver à Londres et se fait transporter sur le Demeter dans des caisses remplies de sa terre natale. Harker, quant à lui, est prisonnier des femmes vampires qui le vident de son sang, le rendant ainsi inapte à s'échapper du château.


Soucieux d’empiler les sous-sous, Universal se lança pendant les années 90 dans une remodernisation des grands mythes qui ont fait la gloire du cinéma de la Hammer dans le passé : Frankenstein, Le loup-garou, L’homme invisible, La momie… et tout d’abord Dracula dont la réalisation est orchestrée par le grand Coppola. Se voulant nettement plus fidèle au roman de Stoker que les autres films dédiés au comte, Bram Stoker’s Dracula (le titre en VO ; celui-ci nous indique bien que pour la première fois, un réalisateur compte s’inspirer fortement de l’œuvre originale, ce qui ne fut jamais le cas auparavant ; en français, le titre est plus sobre et l’on doit se contenter de Dracula) frappe fort avec une publicité et un merchandising limite excessifs, clamant haut et fort son statut de chef-d’œuvre. Ce côté chef-d’œuvre préfabriqué, qui, accessoirement, n’est pas une première dans le cinéma venant d’outre atlantique et qui se poursuit encore de nos jours, a de quoi gêner, surtout à l’époque où je me souviens très bien que le public se scinda en deux de manière assez distincte : ceux qui descendirent l’œuvre de Coppola, la considérant comme un fourre-tout sans saveur et lourdingue, puis d’autres (dont je fais partis, même si je ne peux nier quelques défauts conséquents) la considérant comme une œuvre flamboyante et sensationnelle.


La réalisation de Coppola est, il faut dire, aussi impressionnante que tentaculaire, virevoltant dans tous les sens avec tous les éléments faisant directement la renommée d’un classique hollywoodien : effets spéciaux époustouflants, musique baroque et exacerbée, casting abondamment fourni, scènes d’anthologie, poésie, hémoglobine, érotisme… Un cocktail qui pourrait se montrer comme un peu trop parfait, mais qui n’est pas exempt de défauts. D’ailleurs, étant un grand amateur de l’œuvre, que j’ai dut voir deux ou trois fois au cinéma, lors de sa sortie et amenant avec moi quelques copains, histoire de les rendre aussi fan que moi (la, le résultat fut plus mitigé) et que j’ai, par la suite, en DVD, vu et revu un nombre incalculables de fois, je citerais les défauts les plus cités : Keanu Reeves, surtout, et Anthony Hopkins. Pourquoi ? Le premier, fidèle à lui-même, est tout simplement inexistant et essaye de nous faire croire qu’il est le héros de l’histoire avant de décrocher complètement, l’autre cabotine beaucoup trop pour un rôle se voulant efficace et sobre. C’est dit, c’est fait et maintenant passons à tout autre chose…


Absente dans tous les films mettant en scène le suceur de sang, la vision du conquérant qu’il fut avant que Stoker ne reprenne le personnage est enfin exploité dans une intro flamboyante, où le sang et les larmes se rejoignent dans un trip baroque et gore, très proche d’Excalibur. Dans un ciel rouge, Vlad empale (d’où son surnom de Vlad l’empaleur, c’était un personnage pour le moins sympathique comme vous pouvez vous en doutez) les ennemis à la chaîne, avant de voir sa vie s’écrouler après la mort de son épouse, qui, le croyant mort aux mains des turcs, s’est suicidée et est morte, noyée. Entre tragédie et peinture historique (excellent effet que sont ces ombres chinoises), l’intro frappe fort par ses images tonitruantes et blasphématoires (la croix qui saigne sous le coup d’une épée, l’ange pleurant du sang, le suicide d’Elizabeta…) et nous envoie l’un des plus beaux plans du film, montrant Vlad rejoindre son château sur une route d’empalés. Pas d’images numériques, les mate painting et les trompe-l’œil sont rois, et donnent un cachet supérieur à la dite séquence, inoubliable.

Début du siècle, Londres, Mina Harker voit son fiancé partir pour la Transylvanie où il doit établir un contrat avec le comte Dracula. Chemin tortueux, cocher griffu, loups affamés, brouillard, gitans apeurés, château gothique : bref on redécouvre avec un plaisir certain tout ce qui a fait la force de l’univers du célèbre vampire, ici sous la forme d’un vieillard blanc comme un linceul, aux manières distinguées et inquiétantes. Gary Oldman, ici grimé, est méconnaissable, mais on sera ravi de son jeu d’acteur reprenant le coté blafard et imprévisible d’un Nosferatu fantôme de la nuit, avec la grâce et l’accent roumain du Dracula de Browning. Dans la première partie du film, Coppola hésite à choisir un héros : le comte, Mina, ou Jonathan ? Les trois à la fois en quelque sorte, ce qui n’est pas chose aisée. Quoi qu’il en soit, exploitant divinement bien la personnalité du comte, Coppola fait subir à Oldman de nombreuses transformations sidérantes, brillamment mises en images : vieillard, jeune aristocrate, loup-garou, rats, brouillard verdâtre et goule (bel homme chauve-souris belliqueux dont le look sera repris pour les vampires d’Une nuit en enfer). Oldman est très à l’aise dans son rôle, incarnant un Dracula parfois sadique et cruel, parfois tourmenté et amoureux, voire romantique et effrayant. A déguster cependant en version originale, cela va de soi, pour goûter à toute l’essence de sa voix envoûtante et ténébreuse. Sans nul doute, pour ce qui est du personnage de Dracula, le sieur Oldman est tout bonnement parfait, nous livrant là une prestation magistrale et à laquelle, personnellement, je ne m’attendais guère.

Pour ce qui est des autres acteurs, Winona Ryder et Sadie Frost occupent le casting féminin de manière très convaincante, illuminant le film de leur beauté radieuse, parfois sombre et déchaînée. Mention spéciale à la trop rare Sadie Frost, sensuelle en diable. On passera le cas Reeves/Hopkins (voir plus haut) critiquable au possible, ainsi que les autres protagonistes masculins, décidément peu en verve dans cette adaptation – en dehors d’un certain Tom Waits, finalement assez bon dans un rôle totalement déjanté – pour signaler l’un des premiers rôles de Monica Bellucci en femelle diabolique. Accompagnée d’ailleurs des deux autres femmes de Dracula, elle ne passe que fugitivement à l’écran mais son apparition aura marqué les esprits pour ce qui restera comme une scène d’anthologie pour tout adolescent boutonneux qui se respecte : le célèbre viol où ce benêt de Jonathan tombe entre les mains expertes des trois créatures, ce qui ne semble pas le ravir ; décidément, non seulement Keanu Reeves est mauvais dans ce film mais en plus, il est limite idiot ! Autre scène marquante, celle où Coppola fait exploser sa narration le temps d’une longue séquence assez phénoménale où le comte arrive enfin dans la ville de Londres pendant une lourde tempête. Alors que la musique prodigieuse de Kilar se déchaîne en quelques instants, la caméra accélère ses mouvements, tourne, s’égare, filme la folie (baiser saphique, piquouze pas très catholique, geyser de sang…) jusqu’à déboucher vers une image là encore assez courte mais quasi impensable pour un film se voulant hollywoodien : le viol sauvage de Lucie par un lycanthrope soudain devenu libidineux, s’enfuyant après avoir déposé une délicate morsure sur le cou de sa victime.

Forcément, on arrive avec cette scène, entre autres, à l’un des nœuds du problème aux yeux de certains : en effet, le sieur Coppola injecte dans son adaptation un romantisme forcené qui n’a décidément pas plu à tout le monde, mais étrangement inédit dans l’univers filmique du comte (excepté dans la version de Badham où Dracula devenait un amant séducteur et charmeur) et donc forcément intéressant. Une histoire d’amour, plus que de sexe d’ailleurs, malgré l’érotisme présent de l’œuvre, se tissant rapidement autour de Mina et de Vlad, à travers deux magnifiques scènes : les caresses échangées sur un beau loup blanc, et la découverte de l’absinthe. Pour la petite histoire, beaucoup ont vu en Dracula une métaphore sur le Sida, qui devient ainsi le vampirisme. La scène d’amour entre Mina et Dracula est assez parlante, puisque le sang peut être rallié au sperme et la succion de la plaie à une fellation. Lucie est également visée comme une condamnée, dont les prises de sang et le mal sont facilement assimilables au Sida. L’action explosera quant à elle lors du final expéditif, mais qui a le mérite de se terminer sur une séquence émouvante et sanglante, où tout se termine là où tout a commencé. Cependant, pourquoi Coppola a-t-il placé la belle chanson d’Annie Lennox Love song for a vampire au fin fond du générique et non après la séquence en question ? Bizarre… et un peu déstabilisant.


En forçant le trait sur la notion « opéra baroque et sanglant », Coppola offre des scènes épatantes comme la mort grand guignolesque de Mina et son réveil dans la crypte (sa tenue et son visage à la blancheur de lune ne serait-elle pas héritée du théâtre ou de l’opéra ?), et des idées fabuleuses (la rencontre entre Dracula et le cinéma dans l’une des meilleures scènes, selon moi, du film, où le Comte déambule dans les rues d’un Londres au fait du modernisme de l’époque !). Souvent garni de détails savoureux (les ombres à travers la vitre lors de la discussion Mina/Dracula, les empalés encore présents dans la cour de Dracula…), le film joue avec des raccords surréalistes souvent originaux et assez réussis, pour peu que l’on ait le cœur bien accroché, j’entends bien, et un nouveau regard sur un mythe à l’époque totalement épuisé, reprenant à nouveau vie. Si Dracula n’est pas une œuvre certifiée parfaite à 100%, j’en conviens, elle reste tout de même le fruit d’un travail conséquent et une vision quasi-unique du grand suceur de sang qu’est Dracula. Et cela suffit, malgré quelques défauts notables dans le casting et un certain coté « fourretout » que je ne peux nier (cette adaptation aurait gagné, selon moi, a être bien plus longue puisque l’on a parfois l’impression de regarder une compilation des scènes les plus marquantes de l’œuvre originale) pour en faire un véritable chef-d’œuvre du genre, en tout cas à mes yeux.

mardi 8 mai 2012

LE RÉCUPÉRATEUR DE CADAVRES



LE RÉCUPÉRATEUR DE CADAVRES

En 1831, le Docteur MacFarlane (Henry Daniell) dirige l’Ecole de médecine d’Edimbourg. Donald Fettes (Russell Wade), élève de MacFarlane, souhaite soigner une petite fille victime de paralysie. MacFarlane se laisse convaincre mais a besoin d’un cadavre afin de préparer l’opération. Il fait alors appel aux services de John Gray (Boris Karloff)...


Il y a de cela un peu plus d’une semaine, environ, je vous signalais sur ce blog mon inscription à la médiathèque, fraichement ouverte, de ma ville ainsi que l’un de mes emprunts les plus prometteurs, un film, Le récupérateur de cadavres, avec, en vedette à en croire la jaquette du DVD, deux monstres sacrés du cinéma d’horreur de la grande époque : le grand (par la taille mais aussi par le talent) Boris Karloff et le vampirique Bela Lugosi. Cette œuvre, je dois l’avouer, je n’en avais jamais entendu parler jusque-là et, immédiatement, je me suis dit que je ne pouvais décidément pas passer à côté d’une telle rencontre entre deux acteurs aussi cultes, mais aussi, devant ce qui s’avérait être un synopsis pour le moins intéressant : en effet, plus qu’un banal film d’horreur avec, dans le désordre, savant fou, château hanté au sommet d’un promontoire rocheux, valet bossu et maitre des lieux vampirique, dans Le récupérateur de cadavres, The body snatcher en vo, nous avons droit à un sujet certes souvent abordé dans le cinéma, mais toujours aussi pertinent, je veux bien évidement parler de jusqu’où peut aller la science sans se fourvoyer ?

Tiré d’une œuvre de Robert Louis Stevenson, elle-même inspiré d'un fait divers réel, l’intrigue du Récupérateur de cadavres nous entraine en Ecosse, a Edimbourg, au début du XIXème siècle : ici, donc, un célèbre professeur en médecine, le Docteur MacFarlane, devant le peu de corps disponibles pour la dissection à proposer à ses étudiants, use des talents d’un étrange cocher qui n’hésite pas à user de moyens pour le moins scabreux afin de satisfaire les demandes de son client ; client dont, on s’apercevra assez rapidement, il partage un vieux secret pour le moins inavouable. Vous l’avez compris, le scénario aborde une thématique bien réelle et qui se poursuivit pendant des siècles : en effet, pendant longtemps, nombre de médecins usaient de la sorte et tout un marché pour le moins morbide prospérait au sein des villes universitaires, villes où, la nuit, dans les cimetières et les morgues, il se passait de drôles de choses. Mais dans ce film, les agissements du cocher, superbement interprété par un Boris Karloff qui nous prouve indéniablement que son talent allait bien au-delà que son rôle de monstre dans Frankenstein ou La Momie, chose que l’on a tendance à oublier un peu trop hâtivement, vont beaucoup plus loin que celui de simple fournisseur de cadavres frais : devant la demande, toujours plus pressante, un petit coup de main du destin s’avère vite indispensable, et le docteur MacFarlane, fortement dépendant dans sa relation, est vite pris au piège face aux actes de son complice tout en sachant que si l’un tombe, l’autre tombera également. Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples que l’on pourrait le croire.


En effet, l’une des grandes forces de ce Récupérateur de cadavres est son absence de tout manichéisme ; certes, le jeune étudiant en médecine est là pour nous présenter un personnage que l’on pourrait qualifier de positif, pourtant, c’est par les agissements contestables et hors la loi du Docteur MacFarlane que celui-ci finit par guérir une petite fille paralysée, chose auquel il ne serait pas parvenue si, auparavant, son comparse n’aurais pas commis un meurtre afin de lui fournir un corps pour qu’il étudie la colonne vertébrale. Mais même la figure du cocher, a la grande surprise du spectateur, est bien plus ambiguë que l’on pourrait le supposer puisque, non seulement celui-ci – Boris Karloff donc – est doux et prévenant avec la jeune paralytique, mais en plus, ces paroles du début du film finissent par être a l’origine de la guérison de celle-ci. Alors, des personnages non manichéens, dans un film américain et datant de 1945, on croirait presque rêver, comme quoi… Et à ce scénario tout bonnement excellent, comment ne pas saluer la mise en scène de Robert Wise, qui en était là à son troisième film pour la RKO, et qui, bien avant des œuvres comme Le Jour où la terre s'arrêta, West Side Story, La Mélodie du bonheur, La Canonnière du Yang-Tse et Star Trek, le film, qui firent sa renommée, signe ici un pur petit bijou du cinéma d’horreur de la grande époque ; entre une mise en scène époustouflante, des acteurs excellents, un thème fort, Le récupérateur de cadavres, servit par un noir et blanc qui renforce le coté gothique de la chose, et ce, du plus bel effet, est une œuvre rare et qui, sans aucun doute, mérite d’être découverte pour ceux qui ne la connaitraient pas encore.


Pour finir, je tennais à revenir sur la présence de Bela Lugosi dans ce film. Contrairement à ce qui est annoncé dans le DVD, celui-ci n’occupe qu’un rôle mineur dans Le récupérateur de cadavres, celui de valet du docteur MacFarlane, et on ne le voit quasiment pas. En effet, à la base, il ne devait pas jouer dans le film mais ce furent les producteurs qui exigèrent sa présence, afin que la fameuse rencontre entre les deux célèbres monstres sacrés du cinéma d’horreur puisse avoir lieu. Cette scène, courte, n’en reste pas moins particulièrement jouissive, ne serais ce que par les dialogues, savoureux, entre les deux acteurs. Certes, de par ses qualités, Le récupérateur de cadavres vaut plus que cette simple scène, mais bon, sans nul doute que pour les amateurs du genre, celle-ci à, également, son importance.