L’ETOFFE
DES LEGENDES : L’OBSCUR
1944,
Brooklyn. Un enfant est kidnappé par le croquemitaine qui l'emmène dans un
royaume mystérieux nommé l'Obscur. Conscients de cette disparition, les jouets
du jeune garçon décident alors de partir pour ce monde inconnu afin de sauver
leur petit maître. À leur arrivée, ils se trouvent réincarnés dans leur propre
personnage beaucoup plus réaliste : l'ours en peluche devient un animal féroce,
le soldat de plomb un as de la stratégie militaire, le bouffon dans sa boîte un
acrobate maniant parfaitement la hache
Sous ces nouvelles apparences, ils se
lancent dans un combat éperdu contre les armées du croquemitaine.
On
a souvent tendance à l’oublier mais les comics, c’est-à-dire, la bande dessinée
nord-américaine, ce n’est pas uniquement des histoires sans fin où des types en
costumes en latex et masqués comme s’ils partaient boire un coup Chez Moustache,
se tapent dessus à longueur de journées et où, années après années, il ne se
passe jamais rien de bien transcendant – en gros, à chaque nouvelle évolution
de l’histoire suit un fantastique bond en arrière éditorial sensé rassuré le
fan de base. Non, les comics, c’est aussi autre chose, des hommes et des femmes
qui osent sortir des sentiers battus, qui font éclater les carcans tellement
réducteurs qui étouffent près de 90% de la production et qui savent prendre des
risques. Certes, pour la plupart de ces courageux qui mériteraient presque qu’on
leur dresse une statue, l’échec sera souvent au rendez-vous, et, comme il faut
bien vivre, tôt ou tard, bon nombre d’entre eux devront se contenter de
réaliser un boulot alimentaire du côté de chez Marvel ou DC, les deux
ogres superhéroiques US. Mais heureusement pour ceux qui cherchent autre chose
que l’énième mort de Magnéto ou le crosover de la mort qui tue qui, deux mois
après, n’aura servi à rien puisque tout sera comme avant, certains parviennent
néanmoins à produire des œuvres marquantes, originales, qui sortent de la masse
et qui valent véritablement le coup – artistes et auteurs majeurs qui peuvent
se le permettre ou petits nouveaux qui nous pondent le truc de l’année, ce sont
ces hommes, et ces femmes, vers lesquels je me tourne uniquement pour ce qui
est des comics. Certes, ce préambule pourra paraitre sévère et il se pourrait
que bon nombre d’entre vous m’insultent copieusement pour m’en être pris aussi
violement à un genre, le superhéroique, qui n’a plus grâce à mes yeux depuis
longtemps ; pourtant, comme beaucoup, il fut un temps où j’étais un fan
parmi d’autres, et je ne nie pas que parfois, certains titres vaillent le coup,
mais le temps qui passe et qui n’arrange rien, cette impression, que dis-je,
cette certitude de lire et relire sans cesse les mêmes histoires, cette non
évolution flagrante des intrigues, ces morts qui n’en sont jamais, ces vieilles
ficelles maintes fois utilisées et bien d’autres défauts font que, à force, j’éprouve
un rejet monumental pour les productions Marvel
et DC, du moins, pour leurs titres
phares ; inutile de les nommer. Mais heureusement, comme je vous l’ai dit,
il y autre chose.
J’ai
découvert L’étoffe des légendes,
comme souvent, par le plus grand des hasards, alors que j’effectuais une
recherche, il y a de cela quelques semaines, sur une autre bande dessinée (qu’accessoirement,
je n’achèterais jamais) et, immédiatement, au vu du synopsis et des quelques
cases proposées sur un site consacré à la bande dessinée, je me suis dit que
cette œuvre ne pouvait que me plaire et me suis donc empressé de me la
procurer. Par manque de temps, je n’ai pas eu l’occasion de m’y attaquer tout
de suite (il fallait que j’en finisse avec Millénaire
avant, entre autres…) ce qui fait que 2011 c’est gentiment achevée tandis que
mon album patientait tranquillement, posé dans le tas de bouquins en attente
dans ma bibliothèque. Mais aujourd’hui, finalement, ayant quelques heures
devant moi, je me suis confortablement installer dans le meilleur endroit qui
existe au monde pour lire – c’est-à-dire, mon lit – et me suis plongé dans ce
qui allait être une aventure peu commune, ou presque.
Ce
qui marque, tout d’abord, c’est le format de cet album : peu commun,
presque un carré, ce n’est pas ce que je préfère, question de rangement oblige (oui,
je suis un horrible et incorrigible maniaque du rangement, tout droit être
droit, classer, nickel… hum, ais-je des origines prussiennes ?) mais ceci
n’est qu’un détail mineur pour juger une œuvre car ce qui compte, c’est bien
évidement le contenu, et la, attention, c’est du tout bon ! Toutes les
planches sont couleur sépia – l’une de mes préférée, ça tombe bien – un choix
qui colle terriblement bien a L’étoffe
des légendes et qui renforce l’impression de plonger le lecteur plus
profondément dans le passé où se déroule l’intrigue – les années 40, en plein
conflit mondial et ce, même si le noir et blanc aurait plus convenu si l’on
voulait être logique. Mais peu importe la logique tant le sépia colle si bien à
cette BD. Aux manettes, ou plutôt, devrais-je dire, aux pinceaux, un certain Charles Paul Wilson troisième du nom, qui est peut-être
un illustre inconnu pour moi, mais qui n’en possède pas moins un agréable coup
de crayon qui sublime cet univers si particulier et ses protagonistes qui
méritent amplement le détour. Mais au fait, qui sont-ils ? Et ben, des
jouets, tout bonnement, des jouets qui, afin de sauver leur « maitre », un enfant enlevé
par le terrifiant Croquemitaine, décident de partir dans le royaume de celui-ci,
le fameux Obscur – qui a donner le titre a ce premier tome de la saga – et qui
là, vont se transformer de manière radicale : l’ours, le doudou, une
simple peluche, devient une machine à tuer, le soldat de plomb, un combattant héroïque
de la Grande guerre, le canard en bois, un canard heureux de possèdes de vraies
ailes, la tirelire… et ben, un cochon. Et cette transformation, ce passage
entre un univers familier et réel (oui bon, en partant du principe que les
jouets possèdent une conscience, mais après tout, on a déjà vu pire
exagération) et finalement gentillet (quoi que, c’est la seconde guerre mondiale
tout de même), et, de l’autre côté du miroir, cet univers, l’Obscur, royaume de
l’épouvantable Croquemitaine, fonctionne à merveille et est l’une des grandes
forces de cette œuvre : il est amusant de, tel un Toy’s Story dark, voir s’animer ses jouets, les voir prendre vie,
agir en conformité tel que les voyait leur enfant, et partir à la rescousse de celui-ci,
affrontant mille et un dangers, le plus souvent mortels par ailleurs. Car que l’on
ne s’y trompe pas, L’étoffe des légendes
n’est pas une BD pour les plus jeunes d’entre nous, au contraire : Mike
Raicht et Brian Smith ont su créer une œuvre bien plus adulte que l’on pourrait
le penser de prime abord et certainement plus profonde que les illustrations
pourraient le laisser croire.
Forcément,
nous n’en sommes là qu’au tout premier tome de cette série somme toute récente –
aux USA, seul deux volumes sont parus jusque là – et il faudra probablement voir
sur le long terme pour pouvoir juger cette Étoffe des héros à sa juste valeur. Mais quoi qu’il en soit, pour un début, cette
espèce de fable onirique fonctionne à merveille et promet énormément ;
tant par son univers, assez sombre et violent, ses personnages assez variés et
dont certains – je pense surtout au cochon – me semblent posséder un potentiel
certain, de même, pour les réflexions que cette BD peut entrainer – la vie et
la mort, le courage, la lâcheté etc. – ce premier volume de L’étoffe des légendes est à découvrir de
toute urgences, en espérant, bien entendu, que la suite soit à la hauteur de
nos attentes.
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