lundi 18 février 2019

GAGNER LA GUERRE


GAGNER LA GUERRE

Au bout de dix heures de combat, quand j’ai vu la flotte du Chah flamber d’un bout à l’autre de l’horizon, je me suis dit : « Benvenuto, mon fagot, t’as encore tiré tes os d’un rude merdier. » Sous le commandement de mon patron, le podestat Leonide Ducatore, les galères de la République de Ciudalia venaient d’écraser les escadres du Sublime Souverain de Ressine. La victoire était arrachée, et je croyais que le gros de la tourmente était passé. Je me gourais sévère. Gagner une guerre, c’est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d’orgueil et d’ambition, le coup de grâce infligé à l’ennemi n’est qu’un amuse-gueule. C’est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l’art militaire. Désormais, pour rafler le pactole, c’est au sein de la famille qu’on sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c’est plutôt mon rayon…


Gagner la Guerre
Auteur : Jean-Philippe Jaworski
Type d'ouvrage : Heroic-Fantasy
Première Parution : 05 mars 2009
Edition Poche : 05 mars 2015
Titre en vo : Gagner la Guerre
Pays d’origine : France
Langue d’origine : français
Traduction : néant
Editeur : Folio SF
Nombre de pages : 992

Mon avis : « Je n’ai jamais aimé la mer. Croyez-moi, les paltoquets qui se gargarisent sur la beauté des flots, ils n’ont jamais posé le pied sur une galère. La mer, ça secoue comme une rosse mal débourrée, ça crache et ça gifle comme une catin acariâtre, ça se soulève et ça retombe comme un tombereau sur une ornière ; et c’est plus gras, c’est plus trouble et plus limoneux que le pot d’aisance de feu ma grand-maman. Beauté des horizons changeants et souffle du grand large ? Foutaises ! La mer, c’est votre cuite la plus calamiteuse, en pire et sans l’ivresse. Je n’ai jamais aimé la mer, et ce n’était pas près de s’arranger. » Voilà comment le lecteur découvre le héros – enfin, héros est un terme qui ne correspond pas vraiment, disons plutôt, personnage principal – de ce Gagner la Guerre, un certain Benvenuto Gesufal, ancien soldat de la république Ciudalienne, maitre assassin mais aussi et surtout, homme de main du Podestat Leonide Ducatore, un dirigeant qui aurait sans nul doute fortement plu a un certain Machiavel. Cette entrée en matière de ce petit pavé de près de mille pages, dans son édition poche, en dit long sur la personnalité de notre… euh… héros, mais aussi sur le style de l’auteur, Jean-Philippe Jaworski. Mais, au fait, ce nom, comme celui de Gesufal, Ducatore, Ciudalia, cela ne vous dit rien ? Mais alors, c’est que vous n’avez pas lu un certain Janua Vera, un recueil de nouvelles du même auteur et dont je vous ai parlé il y a de cela quelques semaines, a la fin du mois dernier. Pour ceux qui n’auraient pas lu cette critique, disons que, de par son style, sa forme, son écriture, ses personnages et ses magnifiques récits, je n’avais pas été avare de louanges à son égard et que, décidément, Jean-Philippe Jaworski était un auteur à suivre ! Mais pour confirmer ou pas la chose, je me devais, bien évidemment, de découvrir et lire la suite des aventures de cet inimitable, souvent attachant mais aussi détestable Don Benvenuto Gesufal, avec ce Gagner la Guerre, qui, pour la petite histoire, était le premier roman du sieur Jaworski, un auteur français qui avait fait ses classes dans l’univers des jeux de rôles et qui, ma foi, pour ce que j’ai lu de lui jusqu’à maintenant, a décidément tout l’avenir devant lui ! Car il est inutile de tourner autour du pot plus longtemps : oui, Gagner la Guerre est un sacré bon roman, que dis-je, j’ose aller plus loin encore, nous ne sommes pas loin, mais alors, pas loin du tout, de nous trouver devant ce qu’il faut bel et bien appeler un chef d’œuvre ; oh et puis zut, mais comment ne pouvait-il pas en être autrement ? Prenez Janua Vera, ou plutôt, tout ce qui vous avais plu dans celui-ci, et plus précisément, dans la nouvelle consacrée aux pérégrinations du sieur Gesufal (et qui sert de d’introduction au roman qui nous préoccupe aujourd’hui) et dites-vous que c’est parti pour presque mille pages d’un récit d’une jouissance sans commune mesure : crédibilité de l’univers proposé, personnages cohérents et que l’on pourrait presque croire réels, subtilités du jeu politique, descriptions précises en diverses occasions et qui nous prouvent que l’auteur sait de quoi il parle (l’un des exemples les plus frappants étant le passage à tabac de Benvenuto, un modèle du genre) que ce soient les douleurs ressentis suite à une blessure, les aléas d’un voyage etc. Mais aussi, car ce n’est pas tout, comment ne pas s’extasier devant le langage utilisé, assez recherché, l’intrigue, rondement menée et pleine de surprises ainsi que sur la profondeur de l’ensemble : comme dans Janua Vera, nous n’avons pas affaire ici a de la sous Fantasy post Tolkien mais a une œuvre adulte, qui sort des sentiers battus et qui, surtout, est a des années lumières de la production auquel on est habituées… production qui, fut un temps, m’avait un peu dégoutée du genre d’ailleurs. Car, comme un certain Georges Martin avec son Trône de Fer, Jean-Philippe Jaworski réussit la gageure de nous offrir une œuvre marquante, qui se démarque de la concurrence de par ses différences, mais surtout, de par ses qualités ; Fantasy ais-je dis, oui, il y a des elfes, des nains et de la magie, mais pas comme vous l’entendez… d’une façon plus adulte ? Oui, c’est cela même ! Au jour d’aujourd’hui, et alors que j’ai achevé la lecture de ce Gagner la Guerre il y a quelques heures à peine, je suis incapable de vous dire si, en décembre prochain, je le choisirai comme étant le livre de l’année 2019, mais quelque part, cela importe peu. Cependant, ce dont je peux être sur, c’est qu’avec Gagner la Guerre et Janua Vera, j’ai découvert un univers et des protagonistes que je ne suis pas prêt d’oublier de sitôt. Alors certes, l’intrigue de Gagner la Guerre est pour le moins spéciale et, quand on y pense bien, la quasi-totalité des protagonistes sont de sacrés salauds ! Mais franchement, quel plaisir de suivre les mésaventures de Benvenuto – car le pauvre, il va en prendre plein la gueule – un antihéros par excellence qu’on n’arrive pas tout à fait à détester, et puis, le Podestat, ah, Leonide Ducatore ! Le Prince de Machiavel, mais c’est lui ! Incontestablement lui ! L’homme politique par excellence, avec tout ce que cela sous-entend : retors, calculateur, implacable, menteur et sans pitié, indéniablement, avec le Podestat, il me semble évidant que nous avons là l’un des personnages romanesques les plus marquants de ces dernières années. Et, pour en finir, car il faut bien passer à autre chose, je n’ai désormais qu’un seul et unique souhait : que Jaworski n’en reste pas là et nous offre, a l’avenir, d’autres récits se déroulant dans le même univers, car sincèrement, quand on a gouté au vieux royaume, on n’a envie que d’une seule chose, y replonger… et, justement, cela tombe bien puisqu’il y a un certain Sentiment du Fer… 


Points Positifs :
- Un des meilleurs romans qu’il m’ai été donné de lire de ces dernières années, un truc énorme, aboutit de bout en bout, ce, tout en restant totalement inclassable : de la Fantasy adulte ? Oui, sans nul doute, mais pas n’importe laquelle et force est de constater que Jean-Philippe Jaworski nous a livrer, avec Gagner la Guerre, un véritable chef d’œuvre !
- Benvenuto Gesufal, antihéros par excellence mais qui n’en reste pas moins tellement attachant, même si c’est un sacré salaud, il faut le reconnaitre ; mais bon, il en prend tellement dans la gueule le pauvre qu’il est difficile de ne pas éprouver de l’empathie pour lui…
- Une intrigue complexe, d’une richesse peu commune et qui nous surprendra à de multiples reprises. Bref, on ne s’ennui pas une seule seconde, ce, malgré les presque mille pages de ce roman !
- Si Benvenuto est le héros de ce Gagner la Guerre, comment ne pas mettre en avant d’autres figures marquantes comme le Sapientissime Sassanos et, surtout, le Podestat Léonide Ducatore – Le Prince de Machiavel, c’est lui – mais si ces deux là occupent une place de choix, force est de constater que les seconds voir les troisièmes rôles, très nombreux, sont loin d’être de simples figurants, loin de là !
- Le plaisir de retrouver tout un tas de protagonistes apparus dans les diverses nouvelles de Janua Vera.
- Le talent d’écriture, indéniable, de Jean-Philippe Jaworski.

Points Négatifs :
- Indéniablement, Gagner la Guerre est un roman complexe de par son style d’écriture, son coté presque élitiste qui fait que, le grand public amateur d’une certaine Fantasy plus conventionnelle – pour ne pas dire plus simpliste – risque de ne pas accrocher ou de s’y perdre totalement. Dommage, certes, mais c’est ainsi.

Ma note : 9/10

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