L'ORDRE
ET LA MORALE
Avril
1988, Île d'Ouvéa, Nouvelle-Calédonie. 30 gendarmes retenus en otage par un groupe
d'indépendantistes Kanak. 300 militaires envoyés depuis la France pour rétablir
l'ordre. 2 hommes face à face : Philippe Legorjus, capitaine du GIGN et
Alphonse Dianou, chef des preneurs d’otages. À travers des valeurs communes,
ils vont tenter de faire triompher le dialogue. Mais en pleine période
d'élection présidentielle, lorsque les enjeux sont politiques, l’ordre n’est
pas toujours dicté par la morale...
Tout
d’abord, et avant de rentrer dans le vif du sujet, c’est-à-dire, le film en lui-même,
il me semblait nécessaire de m’attarder sur les événements qui l’on inspirer :
cette fameuse prise d’otage sur l’ile d’Ouvéa, en 1988, d’une trentaine de
gendarmes français par des indépendantistes Kanak. Cette précision, je le
pense, est nécessaire pour comprendre le film, et ce, quel que soit votre âge :
les plus jeunes qui n’étaient pas nés à l’époque, forcément, mais aussi les
autres, ceux de ma génération ou les plus âgés, qui le temps ayant fait son œuvre,
ne se souviennent pas forcément de ce qu’il s’est passé alors. Pourtant, l’affaire,
comme vous pouvez vous en doutez, fit grand bruit alors : survenue entre
les deux tours de l’élection présidentielle en France, les conséquences de
cette prise d’otage furent immédiatement amplifiées par le contexte politique
plus que tendue d’alors : depuis deux ans, le pays connaissait une
cohabitation entre un président de gauche, François Mitterrand, et un
gouvernement de droite, le premier ministre étant Jacques Chirac. Les deux
hommes, alors, se livraient alors une guerre sans merci et cette prise d’otage,
ou plutôt, la façon dont celle-ci devait se résoudre, pouvait peser sur le
second tour des présidentielles qui opposait les deux hommes. Bien évidemment,
il y eut un assaut de l’armée, pas mal de morts du côté Kanak dont certains, ne
le cachons pas, pour le moins suspects et surtout, ensuite, une immense
polémique : certains prétendirent que le gouvernement Chirac souhaitait la
manière forte afin de glaner les voix des électeurs du Front National,
indispensables pour battre Mitterrand. Comme chacun sait, cela ne suffit pas
puisque le président socialiste l’emporta assez nettement, mais la polémique,
elle, ne cessa pas et depuis une vingtaine d’années, la seule certitude que l’on
a au sujet de cette affaire, c’est que, justement, entre zones d’ombres et non-dits,
exactions voir mêmes assassinats, l’affaire de la prise d’otage d’Ouvéa est l’une
des pages sombres de l’histoire récente de notre pays.
Connaîtrons-nous
un jour la vérité ? Franchement, rien n’est moins sûr : un état, quel
que soit son régime politique, possède pas mal de squelettes dans son placard
et je ne pense pas qu’un jour, la lumière soit faite sur cette affaire ;
non seulement, bon nombre des protagonistes sont encore vivants, non seulement,
un camp politique de notre pays, la droite (aujourd’hui l’UMP, alors, le RPR),
pourrait ne pas voir cela d’un très bon œil mais en plus, le peuple de Nouvelle
Calédonie, lui-même, le souhaite-t-il ? Certains, sans nul doute, oui,
mais les autres ? Ce qui est sûr, c’est qu’entre la version officielle et
ce film, vous vous en doutez, il y a un monde, cependant, la prudence est de
mise lorsque l’on se trouve devant une telle œuvre : après tout, il serait
tentant de prendre pour argent comptant ce que nous narre Mathieu Kassovitz
dans son long métrage, alors que, vous vous en doutez, la vérité, elle, doit
nager entre les deux versions de l’histoire. Ainsi, les preneurs d’otage n’étaient
probablement pas les sauvages coupeurs de têtes présentés par la presse française
de 1988, mais, d’un autre côté, étaient-ils les doux rêveurs, les simples pères
de familles pris dans un engrenage et une situation qu’ils n’avaient pas souhaitée,
version présentée dans L’ordre et la
morale ? Difficile de juger et il me semble qu’un « entre les deux » soit la meilleure, pour ne pas dire,
la seule réponse convenable a une telle interrogation.
Alors,
forcément, Mathieu Kassovitz en pris plein la gueule avec ce film ; c’était
attendu et cela ne surpris pas grand monde. La polémique ne pouvant qu’être au rendez-vous
avec, bien entendu, un tel sujet, mais surtout, pour la version dite « partisane » de celui-ci.
Ainsi, et comme il fallait s’y attendre, les médias de droite s’en donnèrent à cœur
joie ; il faut dire que c’est de bonne guerre puisque ici, Jacques Chirac
et Bernard Pons sont ouvertement mis en cause. Du coup, on accusa – à tort ou à
raison - Mathieu Kassovitz d’avoir créé une œuvre de propagande, une œuvre à
charge, une œuvre partisane, bref, en gros, d’être un bon petit soldat de la
cause socialo-communiste. Pourtant, imaginez un instant qu’effectivement, la
version présentée dans L’ordre et la
morale soit la plus proche de la vérité, imaginez qu’effectivement, le
gouvernement Chirac ait tout fait pour qu’il y ait un bain de sang, cela, pour
glaner quelques voix à l’extrême droite, imaginez que l’on ait tout fait pour empêcher,
de fait, une solution pacifique à cette prise d’otage ? Imaginez donc que
ces interrogations, qui existent tout bonnement depuis les faits, donc, depuis
1988, soient exactes ; vous vouliez que Mathieu Kassovitz ne les présente
pas, ne s’en inspire pas pour faire son film ? Si une vérité est
dérangeante, doit-on l’occulter au nom d’un je ne sais quel principe à la noix
qui voudrait que l’on n’ait pas le droit de dénigrer la version officielle ?
Alors certes, L’ordre et la morale
est partisan, mais probablement parce qu’il fallait qu’il en soit ainsi.
Forcément,
avec un tel film, le sieur Kassovitz connut encore quelques démêlés, cette fois
ci avec la profession ce qui donna le savoureux et désormais célèbre « J'encule le cinéma français »
suite à l’unique nomination de L’ordre et la morale aux Césars, en janvier
dernier. Certains, par cette tirade, n’auront vu là que le pétage de câble d’un
egocentrique en mal de reconnaissance, ce qui fut, je l’avoue, un peu mon avis
de prime abord, pourtant, après avoir vu le film, je comprends complétement à
la fois la colère de Mathieu Kassovitz, mais aussi pourquoi la profession ne
pouvait pas le récompenser : avec un tel sujet, c’était couru d’avance, c’est
que l’on n’aime pas faire de vagues dans notre beau pays, nous ne sommes pas
aux Etats Unis ici, et puis bon, comment dire, on va tout de même récompenser
un film qui mettrait en cause des gens avec qui on est copain, vous imaginez
les problèmes que l’on va avoir !? J’exagère en disant cela ? Oh, pas
forcément mais peu importe. La seule chose qui compte, après tout, c’est le
film, et oui, en le regardant hier soir, j’estime qu’ils les méritaient ses
récompenses : pour ses acteurs, en particulier les locaux, accessoirement
pas professionnels pour un sous, pour ses décors, ses paysages, sa tension
dramatique, le coté filmé caméra à l’épaule, ses nombreuses scènes intimistes, sa
bande son, souvent oppressante, sa tension qui s’en va montant, tout au long de
l’intrigue et ce, jusqu’à l’inéluctable assaut final. Oui, pour tout cela, il
les méritait ses récompenses, mais bon, il en fut autrement, alors certes, L’ordre et la morale n’est peut-être pas
un grand film au sens premier du terme, mais dans le genre coup de poing, il
fait parfaitement mouche et rien que pour revenir sur l’un des événements les
plus honteux de l’histoire récente de notre pays, je pense qu’il valait
largement le coup de le regarder.
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