Pages

samedi 8 septembre 2012

AGUIRRE, LA COLERE DE DIEU



AGUIRRE, LA COLERE DE DIEU

Au XVIe siècle, une expédition espagnole mandatée par Pizarro part à la recherche de l'Eldorado sous les ordres de Pedro de Ursúa. Lope de Aguirre, l'un de ses lieutenants, illuminé et mégalomane, s'oppose à son autorité. Ses actions pour saboter l'expédition se multiplient. Lorsqu'Ursúa ordonne un arrêt des recherches, Aguirre lance une mutinerie contre lui et impose le sacre d'un noble du groupe, Fernando de Guzmán, comme empereur d'Eldorado. Il fait exécuter les partisans de l'ancien chef, à l'exception d'Ursúa lui-même qui est épargné par Guzmán. Les hommes restants, sous les ordres d'Aguirre et Guzmán, embarquent à bord d'un radeau et descendent le fleuve dans l'espoir de trouver la cité d'or.

Il existe des films (voir des œuvres, au sens plus large) qui sont nimbées d’une aura légendaire et qui ne vieillissent pas d’un pouce, malgré le temps qui passe. Et bien souvent, ceux-ci ne sont pas forcément les plus connus du grand public, loin de là, et ce, même si l’amateur éclairé, lui, sait pertinemment de quoi il en retourne. Prenez par exemple ce film, Aguirre, la colère de Dieu, vous ne pouvez que difficilement imaginez ce que celui-ci peut représenter pour moi ; et pourtant, combien de fois ais-je pu le voir véritablement (c’est-à-dire, en entier) dans ma vie : une fois, deux fois peut-être avec, de temps en temps, quelques minutes par ci par là ? Quoi qu’il en soit, et avant sa dernière diffusion en date, ce mercredi soir, sur ARTE, je ne l’avais vu qu’une seule et unique fois dans son intégralité, et c’était il y a si longtemps… D’ailleurs, n’étais-je pas trop jeune lorsque je l’avais découvert pour la toute première fois, n’étais-je pas passé à côté de l’essence même du scénario, avais-je compris sa profondeur, son sens caché ? Franchement, non. Pourtant, vous dire que cette œuvre ne m’avait pas marqué au fer rouge serait vous mentir.


Oui, il existe des films comme cet Aguirre, la colère de Dieu qui marquent une vie, des œuvres que vous n’oubliez jamais et que vous portez forcément aux nues ; comment, rares sont ceux parmi vos proches à connaitre ce long métrage ? Mais qu’importe, après tout, la célébrité et les grands succès du box-office n’ont jamais été gages de qualité – par contre, je le reconnais, le contraire est vrai également mais cela est un autre débat. Quoi qu’il en soit, pour en revenir à nos moutons, prenez deux hommes, Werner Herzog, maitre d’œuvre du nouveau cinéma allemand, et l’inimitable Klaus Kinski, aussi génial que complètement cintré, deux hommes capables de se détester cordialement, de se menacer de mort le plus naturellement du monde comme d’autres vont acheter leurs baguettes et d’imposer de fait une ambiance détestable sur le plateau, enfin, sur les lieux de tournage, ici en extérieur, deux hommes faits pour se rencontrer, travailler ensemble et nous offrir au final, tout bonnement un pur chef d’œuvre ; et quel putain de chef d’œuvre !

Par le biais d’un scénario malin et original (car rarement abordé au cinéma) d’une expédition espagnole, à l’époque de la conquête du nouveau monde, qui est sur les traces de la mythique cité d’Eldorado au fin fond de la jungle amazonienne, le spectateur suit donc ce groupe en pleine dérive, en pleine folie, mener une quête dangereuse et perdue d'avance puisque dès le départ, il est annoncé qu’Eldorado n’est qu’une fable inventée par les indiens. Un groupe en pleine folie puisque, non seulement, sa quête n’est qu’une chimère, mais que par-dessus le marché, une révolte éclate au sein de celui-ci, mené par Lope de Aguirre – accessoirement, un personnage réel qui a bel et bien existé – joué ici par le génial Klaus Kinski, qui entraine ses troupes, composés d’individus sans aucune morale et dont la soif d’or et de pouvoir les prive de toute morale et de sentiments humains, toujours plus loin dans cette forêt impénétrable et meurtrière, et ce, jusqu’à leur propre autodestruction finale. Véritable fable sur la malice perfide qu'apporte la passion du pouvoir, la folie qu'elle engrange, le film dérange dans le fait qu'il montre des personnages inconscients, sans morale, même ce prêtre qui a l'idée d'obtenir une croix en or affiche à sourire plein d'avidité juste... dérangeant. Le pouvoir est un des thèmes du film, mais s'ajoute à lui celui de la peur. La peur constante des indiens, ennemis invisibles qui tuent dans la plus grande discrétion. La peur du bruit, la peur du silence, la peur du mouvement, la peur de l'absence de mouvement. Peur paranoïaque, ravageant l'esprit autant que le fait l'appât du gain, autant que la fièvre et la faim, mais aussi autant que la peur qu'inspire ce leader, Aguirre.


Aguirre, personnage tout bonnement fascinant dans ce film, interprété donc par un Klaus Kinski époustouflant, brillant de justesse, dérangeant. Sa carrure, sa gestuelle, sa voix, tout est fait pour lui donner ce charisme de fou emblématique. Son regard transperce, sonde, jusqu'à déranger même le spectateur. Et Aguirre qui, déjà, n'était pas très net au début, va le devenir de moins en moins au fil de la dérive, au fil de cette quête de folie où il va n'en devenir que plus malsain, plus perturbant, et juste jouissif à voir se mettre en place en tant que spectateur.


Film envoutant, Aguirre, la colère de Dieu est porté par des plans plus magnifiques les uns que les autres, rappelant Apocalypse Now ou La ligne rouge (mais rappelons que ceux-ci sont sortis après celui dont nous parlons). Une caméra maîtrisée nous plongeant complètement dans l'atmosphère dangereuse et sale de la forêt amazonienne. Mais qui paradoxalement nous offre une fin de toute beauté, parfaite sous tous les plans : dans un radeau qui s’est délabré tout au long de son parcours sur le fleuve et dont il ne reste que quelques ruines éparses, un Aguirre totalement allumé, seul au milieu des cadavres de ses compagnons et ayant pour dernière compagnie, une bande de singes, hurle a la face de Dieu la célèbre phrase : « Qui d'autre est avec moi ? ». Des morts, des singes, le fleuve, la forêt et, bien entendu, sa propre mort à venir n’étant que les seules réponses qui nous viennent à l’esprit.


Aguirre, la colère de Dieu est donc un chef d'œuvre intemporel, un film à la fois dérangeant et fascinant, qui nous immerge de la plus sublime des façons dans une magistrale descente aux enfers, au cœur de la folie, et ce, tout en n'oubliant pas de conserver une approche historique intéressante et réelle (pour rappel, le personnage interprété par Kinski a bel et bien exister, c’est rebellé contre le Roi d’Espagne et ses méfaits ont été bien plus graves que ceux présentés dans ce film), qui nous montre l'état d'esprit de ces hommes, de ces colons à l'esprit plein de pouvoir et rendus fous par la quête d’un Eldorado de pacotille. Aguirre, la colère de Dieu, une fresque autant qu'un film, brillant chef d'œuvre, juste magnifique et à ne manquer sous aucun prétexte.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire